R.M.
Jennar, 2014. Péril sur les normes sociales et environnementales de
l'Europe. Émission Terre à terre, France Culture, 18 janvier 2014, 51
mn.
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- 1'55" : Ce qui est largement tenu sous silence
par les médias, c'est le 14 juin 2013, le Conseil des ministres européen
– donc aujourd'hui 28 États membres, 28 gouvernements – qui donne un
mandat à la Commission européenne pour négocier avec les États-Unis ce
qui s'appelle très officiellement un Partenariat transatlantique pour le
commerce et l'investissement. C'est bien plus qu'un traité de libre
échange, c'est surtout comme le mandat le précise, une mise à jour, une
amplification des accords de l'OMC. [...]
- 5'35" : On dissimule derrière le mot commerce
des choix de société et même aujourd'hui avec le grand marché
transatlantique des conflits de valeurs.
- 6'55" : Derrière le mot commerce, ce qui est
important, le mot commerce resterait anodin si les exigences de la
concurrence dont on a dit à juste titre [...] qu'elle était libre et non
faussée, [...] libre, c'est-à-dire qui ne connait aucune entrave, aucun
obstacle, [...] et qui ne peut pas être faussée, et faussé, ce n'est
pas seulement ce que les techniciens appellent des distorsions de
concurrence, faussé, c'est par des protections qui concernent par
exemple la qualité de la vie, l'environnement, la santé, les normes
sociales, en fait tout ce que, dans une société organisée, au fil du
temps, pour faire prévaloir l'intérêt général, le bien commun, on a
élaboré comme lois, comme règlements, comme normes. On se rend compte
qu'une société organisée, c'est-à-dire autre chose que simplement une
addition d'individus, c'est un empilement de normes, de choix sur la
manière de vivre ensemble. [...] Il faut se rappeler que les néolibéraux
et en particulier Margaret Thatcher disaient "Il n'y a pas de société".
Car la négation de la société, la mise en valeur de l'individu au
mépris de la nécessité d'inscrire cet individu dans une collectivité,
c'est véritablement la doctrine libérale. [...] Le partenariat
transatlantique [...] s'inscrit avec des accents extrêmement aigus et
très poussés dans cette philosophie néolibérale qui nie la société, et
donc qui nie que la société soit légitime quand elle élabore, quand elle
adopte des normes en fonction de valeurs qui inscrivent un vouloir
vivre en commun. C'est de ça dont il s'agit, bien plus que de commerce,
bien plus que d'investissement. Nous sommes avec ce projet en face d'un
énorme conflit de valeurs.
[Un traité au nom de valeurs communes qui n'existent pas entre les États-Unis et l'Europe]
- 9'53" : Et ce n'est pas hasard que dans le
préambule de ce projet de traité, il est dit que cela se fera au nom de
valeurs qui seraient communes aux États-Unis et à l'Union européenne. Et
c'est d'ailleurs ce qu'ont repris les parlementaires européens dans
leur majorité lorsqu'en mai de l'an passé ils votaient, avant même de
connaître le mandat, une résolution soutenant ces négociations, le
principe-même de cette négociation. [...] En mai, alors que c'est le 14
juin que le Conseil des ministres européens adoptaient le mandat au nom
de valeurs communes. [...]
- 10'55 : Je ne nie pas que les États-Unis et les
peuples d'Europe partagent quelques idées générales qui leur sont
communes sur les libertés fondamentales. [...] Mais là où nous
divergeons, c'est sur la manière de les mettres en oeuvre. [...]
- 11'24" : Quand j'ai lu la résolution du
Parlement européen et le mandat donné par nos gouvernements à la
Commission pour négocier et que j'ai vu cette référence insistante à des
valeurs communes, je me suis interrogé. Parce que quand même, sur la
conception de l'État, nous n'avons pas du tout les mêmes valeurs. Aux
États-Unis, l'État n'est pas le gardien du bien commun, de l'intérêt
général. La protection de l'intérêt général est laissée aux citoyens
quand ils décident de se rassembler pour faire face à un problème. Alors
ils s'organisent et c'est pour ça que les associations, les lobbies ont
connu et connaissent une vie beaucoup plus abondante aux États-Unis,
parce que, dès l'instant où l'intérêt général est mis en péril par les
activités par exemple d'une firme privée qui pollue son environnement,
ce n'est pas l'État qui agit, ce sont les citoyens qui sont tenus de se
mobiliser, de se rassembler, de rassembler des fonds pour faire appel à
des cabinets d'avocats et tout cela se passe devant la justice.
- 12"38" : Chez nous, nous considérons, et c'est
la conception de l'État issue des philosophes des Lumières et en
particulier de la Révolution française, que l'État est le gardien.
Conséquence, chez nous on a mis en place, et ce n'est pas une exception
française contrairement à ce que certains disent de manière erronée, on a
mis en place des services publics. Parce que, si l'on considère que
l'accès de tous aux soins en matière de santé, que l'accès de tous à
l'éducation, ce sont des droits fondamentaux, les outils pour les mettre
en œuvre, ce sont les services publics. Et il en va de même pour la
sécurité sociale. Et regardons les difficultés que rencontre ce pauvre
Mr Obama pour mettre en œuvre un système de sécurité sociale, [...] et
qui ne concernera pas encore la totalité de ceux qui ne peuvent pas se
payer eux-mêmes des soins de santé de qualité. Voilà une différence dans
le concret, une différence de valeur. Je ne parlerai même pas du
rapport à la religion, où aux États-Unis il est omniprésent.
14'00" : Mais pas exemple, et ça concerne
directement ce projet de grand marché, par rapport aux normes sociales,
depuis la fin de la première guerre mondiale, existe une organisation
internationale qui s'appelle l'OIT, L'Organisation Internationale du
Travail, au sein de laquelle États, patrons et syndicats ont négocié et
adopté des conventions sociales [...]. Les pays européens les ont toutes
ratifiées, les États-Unis n'en ont ratifié aucune. C'est quand même une
sérieuse différence. Parlons d'environnement. On sait que Kyoto ou la
Convention de Rio sur la biodiversité n'ont pas été ratifiés par les
États-Unis, alors qu'ils l'ont été par les pays européens.
- 14'55" : Aux États-Unis, on considère qu'un
citoyen américain, quels que soient les crimes qu'il ait pu commettre,
ne peut être jugé que par des tribunaux américains. Du coup, les
États-Unis n'ont pas ratifié la Convention internationale sur les droits
de l'enfant, parce qu'un pédophile américain ne peut être jugé qu'aux
États-Unis et ils n'ont pas ratifié le Traité de Rome qui crée la Cour
pénale internationale, parce qu'un génocidaire américain, même s'il a
sévi en Afrique, en Asie ou en Amérique latine, ne peut être jugé qu'aux
États-Unis. Et on pourrait continuer la liste sur toute une série de
domaines qui sont abordés par ce projet de grand traité transatlantique.
Par exemple, la culture, même si les cocoricos du gouvernement laissent
entendre qu'elle serait à l'abri du traité, ce qui est complètement
faux, nous avons ratifié la Convention de l'Unesco sur la protection, le
respect de la diversité culturelle, les États-Unis ne l'ont pas fait.
[Un traité de commerce que doit ratifier le Parlement national]
- 16'56" : En fait, il faut bien se rappeler que
les accords de l'OMC, qui sont adoptés à Marrakech en 1994, sont signés
pour les pays de ce qui s'appelle aujourd'hui l'Union européenne, par la
Communauté européenne et ratifiés, j'insiste, par les États membres, et
pour la France ce fut fait en décembre 1994, et ils sont entrés en
vigueur en janvier 1995. [...] Ça a été ratifié en 48 heures par
l'Assemblée nationale à Paris en décembre 1994.
- 17'52" : L'article 53 de la Constitution de la 5e
République dit que les traités de commerce doivent être ratifiés. [...]
Aujourd'hui, pour ce futur traité Union européenne - USA de grand
marché transatlantique, d'aucuns disent que la France ne devrait pas le
ratifier, que seul le Parlement européen serait habilité à le ratifier.
Je rappelle donc que dans la Constitution de la République française, il
y a une obligation de passer devant le Parlement pour ratifier un
traité de commerce.
[OMC, puis AGCS, puis traité transatlantique : une mécanique pour privatiser les services publics]
- 21'25" : Dans l'AGCS, il y a une disposition qui
s'appelle le principe du traitement national. [...] Ce principe est un
mécanisme qui fait en sorte que la généralisation des principes de l'OMC
fait que l'on passe de la libéralisation à la privatisation. À partir
du moment où les pouvoirs publics doivent accorder au secteur privé ce
qu'ils accordent à leurs propres activités de service, c'est ça le
traitement national, ils ne peuvent pas le faire, les moyens ne sont pas
là, donc ils privatisent.
- 22"17' : Dès l'instant où l'on décide que l'AGCS
s'applique à l'enseignement universitaire, ce que la France consacre
financièrement pour faire fonctionner ses universités, pour les salaires
des enseignants, pour l'entretien des bâtiments, [...] dès l'instant
que le traitement national s'applique à l'enseignement, la France
devrait l'accorder par exemple à une section de Harvard qui viendrait
s'installer à Paris et qui serait en droit de demander au gouvernement
français le même niveau d'intervention financière que le gouvernement
français accorde à la Sorbonne. [...]
- 25'50" : On est dans une idéologie qui vise à
transformer nos sociétés, de telle sorte que le souverain-même soit le
secteur privé. Et là, avec le grand marché transatlantique, on franchit
une énorme étape.
- 26'54" : Fort heureusement, l'AGCS ne s'applique
pas encore complètement aux universités, aux lycées et aux écoles
primaires, et il y a encore des secteurs qui échappent à l'AGCS
aujourd'hui, parce que le mécanisme de l'AGCS veut qu'il y ait une
démarche d'engagement. L'étape suivante, c'est le grand marché
transatlantique. Parce qu'il y a des articles très précis dans le mandat
qui veulent que, précisément, et il est fait explicitement référence à
l'AGCS, on aille vers une application complète. En fait, le grand marché
transatlantique, on pourrait le résumer comme ceci : c'est considérer
qu'on n'a pas encore été assez loin et assez complètement dans
l'application des accords de l'OMC et qu'on leur donne un sacré coup
d'accélérateur pour les appliquer complètement et aller au-delà, comme
le dit le texte. Je cite le texte : "Avec un haut niveau d'ambition
d'aller au-delà des accords de l'OMC."
- 28"10" : On en connaît déjà des éléments : on
voit déjà toutes les tentative de marchandiser l'eau, l'énergie, les
ressources naturelles, de marchandiser les activités de service, c'est
en cours, ce n'est pas encore complet. On pourrait toujours espérer un
stop et peut-être revenir en arrière dans des domaines où des droits
fondamentaux sont en cause. Que du contraire, avec le grand marché
transatlantique, on veut achever le travail et même aller encore plus
loin. [...] parce qu'il s'agit de mettre en œuvre ce qui était
l'espérance formulée par David Rockefeller dans une interview le 1er
février 1999 à Newsweek : transférer le gouvernement des peuples au
secteur privé. Et c'est de ça dont il s'agit. Avec le grand marché
transatlantique, il s'agit, d'une part, d'achever l'application
intégrale, complète, des accords de l'OMC, dans le domaine de l'accès au
marché, dans le domaine des services, dans le domaine de la propriété
intellectuelle, mais aussi de transférer la définition de la norme au
secteur privé. [...]
[Transférer la définition de la loi d'institutions relativement démocratiques au secteur privé]
- 30'40" : La définition de la norme, depuis 1789,
c'est à la représentation nationale qu'elle appartient au premier chef,
et en tout cas à des institutions issues d'un processus démocratique.
Quel que soit le débat qu'on puisse avoir par ailleurs et qui est
légitime et nécessaire sur l'état de notre démocratie. Encore
aujourd'hui, c'est à l'Assemblée nationale que se fait la loi, c'est
dans les cours et tribunaux qu'elle est interprétée et que l'on juge en
fonction de la loi, ce n'est pas pour l'essentiel dans des enceintes qui
échappent au contrôle public. [...] À une exception, l'affaire Tapie,
ce n'est pas dans des structures d'arbitrage privées que l'on décide
dans un conflit de la manière dont il convient d'appliquer une règle.
Or, à 3 reprises dans le projet de négociation, dans le mandat, [...] il
est dit qu'en cas de conflit sur une norme, sur un règlement, sur une
loi, entre une firme privée et le pouvoir public en cause – État,
Région, département, commune – on aura recours à ce qui s'appelle un
mécanisme de règlement des différents, c'est-à-dire une structure
d'arbitrage privée.
- 32'26" : Le projet de mandat lui-même donne des
exemples. Le premier article qui en parle, c'est lorsqu'il y a un
conflit entre un investisseur et des pouvoirs publics. Un investisseur
peut considérer qu'une législation qui oblige un investisseur à
respecter des normes sociales, la durée du temps de travail,
l'obligation d'avoir un comité de sécurité et d'hygiène, un conseil
d'entreprise, tout ce qui est le fruit de conquêtes sociales, rien ne
dit aujourd'hui dans le texte que ce qui est le résultat d'avancées
sociales protégeant les femmes et les hommes qui travaillent dans une
entreprise ne pourra pas être remis en question par un investisseur, en
l'occurrence américain. Mais le Medef n'est pas du tout hostile à cette
négociation [...] pour obtenir via la négociation d'un grand marché
transatlantique ce qu'il ne peuvent pas obtenir directement dans le
dialogue dans l'enceinte nationale ou dans l'enceinte européenne.
- 33'57" : Il y a aussi un article qui évoque
spécifiquement les normes sociales et les normes environnementales et où
il est indiqué tout à la fin de l'article qu'il y aura aussi
possibilité de recours à un mécanisme de règlement des différents. Et
enfin il y a l'article 43, qui sans préciser à quelle matière ça
s'appliquerait, prévoit pour tout le sujet un mécanisme de règlement des
différents.
[Une justice privée à la place d'une justice publique]
- 34'27" : Alors c'est quoi un mécanisme de
règlement des différents ? C'est justement l'instrument par lequel on
transfère, on délègue la définition de la norme au secteur privé. Au
lieu d'avoir recours à nos juridictions ou à nos institutions, on crée
au cas par cas un groupe d'arbitrage privé qui délibère dans le secret,
dont les décisions sont sans appel.
- 35'02" : Je voudrais prendre un exemple très
concret de ce qui n'existera plus, de ce qui ne sera plus possible si
cet accord aboutit. Il y a quelques mois, un avocat français au nom
d'une firme pétrolière américaine a introduit ce qu'on appelle dans
notre droit une question prioritaire de constitutionalité, question
adressée donc au Conseil constitutionnel. La question était : est-ce que
la loi qui interdit la prospection de gaz de schiste est conforme à la
Constitution ? On connaît la réponse, le Conseil constitutionnel a
répondu que la loi était conforme. Si le fameux partenariat
transatlantique est adopté dans les termes du mandat donné par nos
gouvernements, le Conseil constitutionnel ne sera plus l'instance
consultée, on mettra en place un groupe d'arbitrage qui décidera.
Autrement dit, on enlève à nos institutions et à nos juridictions un
pouvoir qui s'exerce aujourd'hui dès lors qu'une firme privée est en
cause.
- 36'42" : Il y a une instance d'arbitrage privée à
l'OMC, l'ORD, l'Organe de règlement des différents, qui connaît une
instance d'appel, qui est un mécanisme dont a déjà eu à pâtir l'Union
européenne, parce qu'attaquée par les États-Unis pour l'interdiction de
l'importation de bœuf traités aux hormones de croissance. Les
États-Unis, considérant que cette interdiction n'est pas fondée
scientifiquement, ont introduit une action devant l'Organe de règlement
des différents de l'OMC, et comme les critères de santé publique
n'entrent pas en ligne de compte dans les règles de la concurrence et
donc sont considérés comme des obstacles à la concurrence, l'Union
européenne a perdu et elle a dû donner des centaines de millions de
dollars aux États-Unis.
- 37'32" : Mais il ne faut pas confondre l'ORD, où
il y a une instance d'appel, [...] avec ce qui est entendu dans le
mandat de négociation pour le grand marché transatlantique sous
l'expression mécanisme de règlement des différents. La référence, c'est
le mécanisme de règlement des différents qui est en fonction depuis 20
ans [...] dans le cadre de l'accord de libre échange de l'Amérique du
Nord, l'Alena, entre le
Canada, le Mexique et les États-Unis. Là, il n'y a pas d'instance
d'appel. Les groupes d'arbitrage sont constitués de personnes privées,
qui délibèrent à huit clos, sans qu'il y ait – ce qui est une des
caractéristiques de toute procédure judiciaire équitable – de débat
contradictoire. Et qu'est-ce qu'on remarque ? Dans les 30 affaires où
une firme privée américaine a attaqué le Canada, le Canada a perdu. Par
contre, dans la quinzaine de cas où des firmes privées canadiennes et
mexicaines ont attaqué le gouvernement des États-Unis, dans tous ces cas
là, elles ont perdu. Ce qui veut dire qu'on ne gagne jamais lorsque les
États-Unis ou les firmes américaines sont en cause. [...]
- 40'23" : L'exemple dans le bilan de l'Alena, de
ces 20 ans de ce partenariat d'Amérique du Nord, qu'est-ce qu'on
constate ? Les États-Unis n'honorent pas leur signatures, les États-Unis
ne sont pas un partenaire fiable. Ils ont continué à protéger leurs
géants industriels et leurs géants agricoles, en dépit des accords de
libre échange avec le Canada et avec le Mexique. Et ça a eu des
conséquences terribles, notamment pour le Mexique. Le Mexique, il y a 20
ans, était exportateur net de produits agricoles et notamment de maïs.
Aujourd'hui, le Mexique est importateur net, des centaines de milliers
d'emplois ont disparu dans l'agriculture, on assiste à des phénomènes de
désertification, parce que les États-Unis ont continué à soutenir leurs
géants agricoles, financièrement, et à les protéger. Et quand le
Mexique attaquait le gouvernement des États-Unis parce qu'il ne
respectait pas les règles de l'Alena, le Mexique perdait devant le mécanisme de règlement des différents. [...]
- 42'17" : Le peu qu'on ait dit dans la plupart
des médias sur ce projet de négociation, c'était pour dire que sur un
point au moins il n'y a pas de problèmes, l'abaissement des tarifs
douaniers. [...] Or c'est vrai que dans beaucoup de domaines, dans
beaucoup de secteurs, les droits de douane entre les États-Unis et
l'Union européenne n'existent quasiment plus ou sont ridicules, sauf
dans le secteur agricole. Et là, un agroéconomiste comme Jacques
Berthelot a fait le travail et il a identifié produit agricole par
produit agricole, [...] avec les droits de douanes qui sont aujourd'hui
appliqués à l'entrée du territoire européen, [...] il en déduit que si
on les abaisse, c'est une catastrophe pour les agriculteurs européens.
[...] S'il n'y a plus de droits de douane, la compétition est totale :
d'abord arrivée massive de soja et de blé américains génétiquement
modifiés ; pour être compétitif, intensification du caractère industriel
de l'agriculture européenne, c'est-à-dire qu'on va s'éloigner
définitivement de cette espérance d'avoir des circuits courts entre
producteurs et [consommateurs], ça veut dire qu'on va avoir recours
encore davantage à des incitants, à des engrais et à des pesticides, ça
veut dire une aggravation de la destruction de l'environnement ; et ça
veut dire aussi et surtout une perte énorme d'emplois encore une fois
dans le secteur agricole.
- 45'05" : Dans les accords de l'OMC, sur l'accès
au marché, il y a un accord sur les mesures sanitaires et
phytosanitaires, donc la santé des animaux, la santé des plantes, et le
texte du mandat de négociation du grand marché dit qu'on va partir de
cet accord de l'OMC pour aller plus loin, car c'est toujours ça, faire
l'OMC et aller plus loin. Ce qui veut dire que dans ce domaine, où il
faut se rappeler que les lobbies de l'agrobusiness américain considèrent
que les normes qui existent en Europe ne sont pas fondées
scientifiquement – le principe de précaution aux États-Unis n'existe
pas, aux États-Unis tout est acceptable tant qu'il n'y a pas de danger –
chez nous, c'est vraiment l'inverse. [...] Aux États-Unis, il n'y a pas
de risque tant que le risque n'est pas patent, avéré. Chez nous, on ne
donne le feu vert que lorsqu'on a la preuve qu'il n'y a pas de danger.
[...] Donc, quand on parle [...] de sécurité alimentaire, de normes
sanitaires, le risque est très grand de voir contester par des firmes
privées devant des groupes d'arbitrage privés les normes que nous avons
élaborées péniblement et de manière encore insuffisante en matière de
santé, dès lors qu'il s'agit d'OGM, de bœufs aux hormones, de poulets
chlorés, de porcs traités à la Ractopamine, ce médicament qui empêche le
développement des graisses, l'introduction de la chimie dans
l'alimentation, de technologies qui présentent des risques en matière de
santé. On va avoir un véritable risque que tout ce qu'on a essayé de
construire péniblement, en dépit des lobbies qui agissent avec force
pour faire passer le profit avant la santé, tout ça risque d'être balayé
comme par un tsunami par ces dispositions prévues dans le cadre de la
négociation du grand marché transatlantique.
[Agenda]
- 47'49". Le feu vert a été donné le 14 juin 2013,
la négociation a commencé à Washington le 8 juillet 2013, la
négociation se déroule par des cycles de réunion qui se tiennent une
fois à Bruxelles, une fois à Washington, on en a eu trois jusqu'à
présent. [...] Leur espérance, c'est d'aboutir en 2015, d'avoir un
accord. [...] Quand États-Unis et Commission européenne considéreront
qu'ils ont abouti à un accord, la Commission européenne va devoir
revenir devant le Conseil des ministres. Là, il y a un premier moment de
responsabilité pour les gouvernements. Ce qui ne veut pas dire que les
gouvernements entre temps ne soient pas au courant. [...] Les
gouvernements suivent au jour le jour les négociations, ils peuvent
donner des impulsions, ou dire aussi qu'ils refusent telle ou telle
avancée. [...] Mais le grand moment où ils doivent se prononcer, c'est
quand ils diront à la Commission européenne "ce que vous avez négocié
nous convient ou ne nous convient pas", [...] quelque part en 2015
[...]. Si les gouvernements disent "c'est bien", alors la Commission
peut signer.
[Un mandat écrit par les lobbies du monde des affaires et de la finance]
- 50'20" : Les lobbies sont présents à tous les
instants, ils ont été présents même avant l'accord du 14 juin, car c'est
la Commission qui a proposé le texte du mandat, et pour ce faire, elle a
reconnu qu'elle avait tenu près de 120 réunions
avec des représentants du monde des affaires et de la finance, en 14
mois. La Commission européenne de février 2012 à avril 2013 a tenu près
de 120 réunions rien qu'avec les lobbies du monde de la finance et des
affaires. On a d'ailleurs estimé que 65% du mandat a été écrit
directement par les lobbies. D'ailleurs la Commission ne s'en cache pas,
elle reconnait qu'elle a tenu ces réunions et elle reconnait qu'elle
demande aux représentants du monde des affaires et de la finance des
suggestions. Le texte est fait des suggestions faites par les premiers
intéressés, ceux qui trouvent qu'il y a toujours trop de normes
sociales, qu'il y a toujours trop de normes environnementales, qu'il y a
toujours trop de réglementations techniques, ceux qui voudraient
pouvoir faire du profit sans avoir à tenir compte de l'intérêt général.
Ce sont ceux-là qui sont les auteurs de ce texte.