mardi 4 février 2014

Accord transatlantique, un pas de plus vers le néolibéralisme dur

R.M. Jennar, 2014. Péril sur les normes sociales et environnementales de l'Europe. Émission Terre à terre, France Culture, 18 janvier 2014, 51 mn.    
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- 1'55" : Ce qui est largement tenu sous silence par les médias, c'est le 14 juin 2013, le Conseil des ministres européen – donc aujourd'hui 28 États membres, 28 gouvernements – qui donne un mandat à la Commission européenne pour négocier avec les États-Unis ce qui s'appelle très officiellement un Partenariat transatlantique pour le commerce et l'investissement. C'est bien plus qu'un traité de libre échange, c'est surtout comme le mandat le précise, une mise à jour, une amplification des accords de l'OMC. [...]
- 5'35" : On dissimule derrière le mot commerce des choix de société et même aujourd'hui avec le grand marché transatlantique des conflits de valeurs.
- 6'55" : Derrière le mot commerce, ce qui est important, le mot commerce resterait anodin si les exigences de la concurrence dont on a dit à juste titre [...] qu'elle était libre et non faussée, [...] libre, c'est-à-dire qui ne connait aucune entrave, aucun obstacle, [...] et qui ne peut pas être faussée, et faussé, ce n'est pas seulement ce que les techniciens appellent des distorsions de concurrence, faussé, c'est par des protections qui concernent par exemple la qualité de la vie, l'environnement, la santé, les normes sociales, en fait tout ce que, dans une société organisée, au fil du temps, pour faire prévaloir l'intérêt général, le bien commun, on a élaboré comme lois, comme règlements, comme normes. On se rend compte qu'une société organisée, c'est-à-dire autre chose que simplement une addition d'individus, c'est un empilement de normes, de choix sur la manière de vivre ensemble. [...] Il faut se rappeler que les néolibéraux et en particulier Margaret Thatcher disaient "Il n'y a pas de société". Car la négation de la société, la mise en valeur de l'individu au mépris de la nécessité d'inscrire cet individu dans une collectivité, c'est véritablement la doctrine libérale. [...] Le partenariat transatlantique [...] s'inscrit avec des accents extrêmement aigus et très poussés dans cette philosophie néolibérale qui nie la société, et donc qui nie que la société soit légitime quand elle élabore, quand elle adopte des normes en fonction de valeurs qui inscrivent un vouloir vivre en commun. C'est de ça dont il s'agit, bien plus que de commerce, bien plus que d'investissement. Nous sommes avec ce projet en face d'un énorme conflit de valeurs.
[Un traité au nom de valeurs communes qui n'existent pas entre les États-Unis et l'Europe]
- 9'53" : Et ce n'est pas hasard que dans le préambule de ce projet de traité, il est dit que cela se fera au nom de valeurs qui seraient communes aux États-Unis et à l'Union européenne. Et c'est d'ailleurs ce qu'ont repris les parlementaires européens dans leur majorité lorsqu'en mai de l'an passé ils votaient, avant même de connaître le mandat, une résolution soutenant ces négociations, le principe-même de cette négociation. [...] En mai, alors que c'est le 14 juin que le Conseil des ministres européens adoptaient le mandat au nom de valeurs communes. [...]
- 10'55 : Je ne nie pas que les États-Unis et les peuples d'Europe partagent quelques idées générales qui leur sont communes sur les libertés fondamentales. [...] Mais là où nous divergeons, c'est sur la manière de les mettres en oeuvre. [...]
- 11'24" : Quand j'ai lu la résolution du Parlement européen et le mandat donné par nos gouvernements à la Commission pour négocier et que j'ai vu cette référence insistante à des valeurs communes, je me suis interrogé. Parce que quand même, sur la conception de l'État, nous n'avons pas du tout les mêmes valeurs. Aux États-Unis, l'État n'est pas le gardien du bien commun, de l'intérêt général. La protection de l'intérêt général est laissée aux citoyens quand ils décident de se rassembler pour faire face à un problème. Alors ils s'organisent et c'est pour ça que les associations, les lobbies ont connu et connaissent une vie beaucoup plus abondante aux États-Unis, parce que, dès l'instant où l'intérêt général est mis en péril par les activités par exemple d'une firme privée qui pollue son environnement, ce n'est pas l'État qui agit, ce sont les citoyens qui sont tenus de se mobiliser, de se rassembler, de rassembler des fonds pour faire appel à des cabinets d'avocats et tout cela se passe devant la justice.
- 12"38" : Chez nous, nous considérons, et c'est la conception de l'État issue des philosophes des Lumières et en particulier de la Révolution française, que l'État est le gardien. Conséquence, chez nous on a mis en place, et ce n'est pas une exception française contrairement à ce que certains disent de manière erronée, on a mis en place des services publics. Parce que, si l'on considère que l'accès de tous aux soins en matière de santé, que l'accès de tous à l'éducation, ce sont des droits fondamentaux, les outils pour les mettre en œuvre, ce sont les services publics. Et il en va de même pour la sécurité sociale. Et regardons les difficultés que rencontre ce pauvre Mr Obama pour mettre en œuvre un système de sécurité sociale, [...] et qui ne concernera pas encore la totalité de ceux qui ne peuvent pas se payer eux-mêmes des soins de santé de qualité. Voilà une différence dans le concret, une différence de valeur. Je ne parlerai même pas du rapport à la religion, où aux États-Unis il est omniprésent.
14'00" : Mais pas exemple, et ça concerne directement ce projet de grand marché, par rapport aux normes sociales, depuis la fin de la première guerre mondiale, existe une organisation internationale qui s'appelle l'OIT, L'Organisation Internationale du Travail, au sein de laquelle États, patrons et syndicats ont négocié et adopté des conventions sociales [...]. Les pays européens les ont toutes ratifiées, les États-Unis n'en ont ratifié aucune. C'est quand même une sérieuse différence. Parlons d'environnement. On sait que Kyoto ou la Convention de Rio sur la biodiversité n'ont pas été ratifiés par les États-Unis, alors qu'ils l'ont été par les pays européens.
- 14'55" : Aux États-Unis, on considère qu'un citoyen américain, quels que soient les crimes qu'il ait pu commettre, ne peut être jugé que par des tribunaux américains. Du coup, les États-Unis n'ont pas ratifié la Convention internationale sur les droits de l'enfant, parce qu'un pédophile américain ne peut être jugé qu'aux États-Unis et ils n'ont pas ratifié le Traité de Rome qui crée la Cour pénale internationale, parce qu'un génocidaire américain, même s'il a sévi en Afrique, en Asie ou en Amérique latine, ne peut être jugé qu'aux États-Unis. Et on pourrait continuer la liste sur toute une série de domaines qui sont abordés par ce projet de grand traité transatlantique. Par exemple, la culture, même si les cocoricos du gouvernement laissent entendre qu'elle serait à l'abri du traité, ce qui est complètement faux, nous avons ratifié la Convention de l'Unesco sur la protection, le respect de la diversité culturelle, les États-Unis ne l'ont pas fait.
[Un traité de commerce que doit ratifier le Parlement national]
- 16'56" : En fait, il faut bien se rappeler que les accords de l'OMC, qui sont adoptés à Marrakech en 1994, sont signés pour les pays de ce qui s'appelle aujourd'hui l'Union européenne, par la Communauté européenne et ratifiés, j'insiste, par les États membres, et pour la France ce fut fait en décembre 1994, et ils sont entrés en vigueur en janvier 1995. [...] Ça a été ratifié en 48 heures par l'Assemblée nationale à Paris en décembre 1994.
- 17'52" : L'article 53 de la Constitution de la 5e République dit que les traités de commerce doivent être ratifiés. [...] Aujourd'hui, pour ce futur traité Union européenne - USA de grand marché transatlantique, d'aucuns disent que la France ne devrait pas le ratifier, que seul le Parlement européen serait habilité à le ratifier. Je rappelle donc que dans la Constitution de la République française, il y a une obligation de passer devant le Parlement pour ratifier un traité de commerce.
[OMC, puis AGCS, puis traité transatlantique : une mécanique pour privatiser les services publics]
- 21'25" : Dans l'AGCS, il y a une disposition qui s'appelle le principe du traitement national. [...] Ce principe est un mécanisme qui fait en sorte que la généralisation des principes de l'OMC fait que l'on passe de la libéralisation à la privatisation. À partir du moment où les pouvoirs publics doivent accorder au secteur privé ce qu'ils accordent à leurs propres activités de service, c'est ça le traitement national, ils ne peuvent pas le faire, les moyens ne sont pas là, donc ils privatisent.
- 22"17' : Dès l'instant où l'on décide que l'AGCS s'applique à l'enseignement universitaire, ce que la France consacre financièrement pour faire fonctionner ses universités, pour les salaires des enseignants, pour l'entretien des bâtiments, [...] dès l'instant que le traitement national s'applique à l'enseignement, la France devrait l'accorder par exemple à une section de Harvard qui viendrait s'installer à Paris et qui serait en droit de demander au gouvernement français le même niveau d'intervention financière que le gouvernement français accorde à la Sorbonne. [...]
- 25'50" : On est dans une idéologie qui vise à transformer nos sociétés, de telle sorte que le souverain-même soit le secteur privé. Et là, avec le grand marché transatlantique, on franchit une énorme étape.
- 26'54" : Fort heureusement, l'AGCS ne s'applique pas encore complètement aux universités, aux lycées et aux écoles primaires, et il y a encore des secteurs qui échappent à l'AGCS aujourd'hui, parce que le mécanisme de l'AGCS veut qu'il y ait une démarche d'engagement. L'étape suivante, c'est le grand marché transatlantique. Parce qu'il y a des articles très précis dans le mandat qui veulent que, précisément, et il est fait explicitement référence à l'AGCS, on aille vers une application complète. En fait, le grand marché transatlantique, on pourrait le résumer comme ceci : c'est considérer qu'on n'a pas encore été assez loin et assez complètement dans l'application des accords de l'OMC et qu'on leur donne un sacré coup d'accélérateur pour les appliquer complètement et aller au-delà, comme le dit le texte. Je cite le texte : "Avec un haut niveau d'ambition d'aller au-delà des accords de l'OMC."
- 28"10" : On en connaît déjà des éléments : on voit déjà toutes les tentative de marchandiser l'eau, l'énergie, les ressources naturelles, de marchandiser les activités de service, c'est en cours, ce n'est pas encore complet. On pourrait toujours espérer un stop et peut-être revenir en arrière dans des domaines où des droits fondamentaux sont en cause. Que du contraire, avec le grand marché transatlantique, on veut achever le travail et même aller encore plus loin. [...] parce qu'il s'agit de mettre en œuvre ce qui était l'espérance formulée par David Rockefeller dans une interview le 1er février 1999 à Newsweek : transférer le gouvernement des peuples au secteur privé. Et c'est de ça dont il s'agit. Avec le grand marché transatlantique, il s'agit, d'une part, d'achever l'application intégrale, complète, des accords de l'OMC, dans le domaine de l'accès au marché, dans le domaine des services, dans le domaine de la propriété intellectuelle, mais aussi de transférer la définition de la norme au secteur privé. [...]
[Transférer la définition de la loi d'institutions relativement démocratiques au secteur privé]
- 30'40" : La définition de la norme, depuis 1789, c'est à la représentation nationale qu'elle appartient au premier chef, et en tout cas à des institutions issues d'un processus démocratique. Quel que soit le débat qu'on puisse avoir par ailleurs et qui est légitime et nécessaire sur l'état de notre démocratie. Encore aujourd'hui, c'est à l'Assemblée nationale que se fait la loi, c'est dans les cours et tribunaux qu'elle est interprétée et que l'on juge en fonction de la loi, ce n'est pas pour l'essentiel dans des enceintes qui échappent au contrôle public. [...] À une exception, l'affaire Tapie, ce n'est pas dans des structures d'arbitrage privées que l'on décide dans un conflit de la manière dont il convient d'appliquer une règle. Or, à 3 reprises dans le projet de négociation, dans le mandat, [...] il est dit qu'en cas de conflit sur une norme, sur un règlement, sur une loi, entre une firme privée et le pouvoir public en cause – État, Région, département, commune – on aura recours à ce qui s'appelle un mécanisme de règlement des différents, c'est-à-dire une structure d'arbitrage privée.
- 32'26" : Le projet de mandat lui-même donne des exemples. Le premier article qui en parle, c'est lorsqu'il y a un conflit entre un investisseur et des pouvoirs publics. Un investisseur peut considérer qu'une législation qui oblige un investisseur à respecter des normes sociales, la durée du temps de travail, l'obligation d'avoir un comité de sécurité et d'hygiène, un conseil d'entreprise, tout ce qui est le fruit de conquêtes sociales, rien ne dit aujourd'hui dans le texte que ce qui est le résultat d'avancées sociales protégeant les femmes et les hommes qui travaillent dans une entreprise ne pourra pas être remis en question par un investisseur, en l'occurrence américain. Mais le Medef n'est pas du tout hostile à cette négociation [...] pour obtenir via la négociation d'un grand marché transatlantique ce qu'il ne peuvent pas obtenir directement dans le dialogue dans l'enceinte nationale ou dans l'enceinte européenne.
- 33'57" : Il y a aussi un article qui évoque spécifiquement les normes sociales et les normes environnementales et où il est indiqué tout à la fin de l'article qu'il y aura aussi possibilité de recours à un mécanisme de règlement des différents. Et enfin il y a l'article 43, qui sans préciser à quelle matière ça s'appliquerait, prévoit pour tout le sujet un mécanisme de règlement des différents.
[Une justice privée à la place d'une justice publique]
- 34'27" : Alors c'est quoi un mécanisme de règlement des différents ? C'est justement l'instrument par lequel on transfère, on délègue la définition de la norme au secteur privé. Au lieu d'avoir recours à nos juridictions ou à nos institutions, on crée au cas par cas un groupe d'arbitrage privé qui délibère dans le secret, dont les décisions sont sans appel.
- 35'02" : Je voudrais prendre un exemple très concret de ce qui n'existera plus, de ce qui ne sera plus possible si cet accord aboutit. Il y a quelques mois, un avocat français au nom d'une firme pétrolière américaine a introduit ce qu'on appelle dans notre droit une question prioritaire de constitutionalité, question adressée donc au Conseil constitutionnel. La question était : est-ce que la loi qui interdit la prospection de gaz de schiste est conforme à la Constitution ? On connaît la réponse, le Conseil constitutionnel a répondu que la loi était conforme. Si le fameux partenariat transatlantique est adopté dans les termes du mandat donné par nos gouvernements, le Conseil constitutionnel ne sera plus l'instance consultée, on mettra en place un groupe d'arbitrage qui décidera. Autrement dit, on enlève à nos institutions et à nos juridictions un pouvoir qui s'exerce aujourd'hui dès lors qu'une firme privée est en cause.
- 36'42" : Il y a une instance d'arbitrage privée à l'OMC, l'ORD, l'Organe de règlement des différents, qui connaît une instance d'appel, qui est un mécanisme dont a déjà eu à pâtir l'Union européenne, parce qu'attaquée par les États-Unis pour l'interdiction de l'importation de bœuf traités aux hormones de croissance. Les États-Unis, considérant que cette interdiction n'est pas fondée scientifiquement, ont introduit une action devant l'Organe de règlement des différents de l'OMC, et comme les critères de santé publique n'entrent pas en ligne de compte dans les règles de la concurrence et donc sont considérés comme des obstacles à la concurrence, l'Union européenne a perdu et elle a dû donner des centaines de millions de dollars aux États-Unis.
- 37'32" : Mais il ne faut pas confondre l'ORD, où il y a une instance d'appel, [...] avec ce qui est entendu dans le mandat de négociation pour le grand marché transatlantique sous l'expression mécanisme de règlement des différents. La référence, c'est le mécanisme de règlement des différents qui est en fonction depuis 20 ans [...] dans le cadre de l'accord de libre échange de l'Amérique du Nord, l'Alena, entre le Canada, le Mexique et les États-Unis. Là, il n'y a pas d'instance d'appel. Les groupes d'arbitrage sont constitués de personnes privées, qui délibèrent à huit clos, sans qu'il y ait – ce qui est une des caractéristiques de toute procédure judiciaire équitable – de débat contradictoire. Et qu'est-ce qu'on remarque ? Dans les 30 affaires où une firme privée américaine a attaqué le Canada, le Canada a perdu. Par contre, dans la quinzaine de cas où des firmes privées canadiennes et mexicaines ont attaqué le gouvernement des États-Unis, dans tous ces cas là, elles ont perdu. Ce qui veut dire qu'on ne gagne jamais lorsque les États-Unis ou les firmes américaines sont en cause. [...]
- 40'23" : L'exemple dans le bilan de l'Alena, de ces 20 ans de ce partenariat d'Amérique du Nord, qu'est-ce qu'on constate ? Les États-Unis n'honorent pas leur signatures, les États-Unis ne sont pas un partenaire fiable. Ils ont continué à protéger leurs géants industriels et leurs géants agricoles, en dépit des accords de libre échange avec le Canada et avec le Mexique. Et ça a eu des conséquences terribles, notamment pour le Mexique. Le Mexique, il y a 20 ans, était exportateur net de produits agricoles et notamment de maïs. Aujourd'hui, le Mexique est importateur net, des centaines de milliers d'emplois ont disparu dans l'agriculture, on assiste à des phénomènes de désertification, parce que les États-Unis ont continué à soutenir leurs géants agricoles, financièrement, et à les protéger. Et quand le Mexique attaquait le gouvernement des États-Unis parce qu'il ne respectait pas les règles de l'Alena, le Mexique perdait devant le mécanisme de règlement des différents. [...]
- 42'17" : Le peu qu'on ait dit dans la plupart des médias sur ce projet de négociation, c'était pour dire que sur un point au moins il n'y a pas de problèmes, l'abaissement des tarifs douaniers. [...] Or c'est vrai que dans beaucoup de domaines, dans beaucoup de secteurs, les droits de douane entre les États-Unis et l'Union européenne n'existent quasiment plus ou sont ridicules, sauf dans le secteur agricole. Et là, un agroéconomiste comme Jacques Berthelot a fait le travail et il a identifié produit agricole par produit agricole, [...] avec les droits de douanes qui sont aujourd'hui appliqués à l'entrée du territoire européen, [...] il en déduit que si on les abaisse, c'est une catastrophe pour les agriculteurs européens. [...] S'il n'y a plus de droits de douane, la compétition est totale : d'abord arrivée massive de soja et de blé américains génétiquement modifiés ; pour être compétitif, intensification du caractère industriel de l'agriculture européenne, c'est-à-dire qu'on va s'éloigner définitivement de cette espérance d'avoir des circuits courts entre producteurs et [consommateurs], ça veut dire qu'on va avoir recours encore davantage à des incitants, à des engrais et à des pesticides, ça veut dire une aggravation de la destruction de l'environnement ; et ça veut dire aussi et surtout une perte énorme d'emplois encore une fois dans le secteur agricole.
- 45'05" : Dans les accords de l'OMC, sur l'accès au marché, il y a un accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires, donc la santé des animaux, la santé des plantes, et le texte du mandat de négociation du grand marché dit qu'on va partir de cet accord de l'OMC pour aller plus loin, car c'est toujours ça, faire l'OMC et aller plus loin. Ce qui veut dire que dans ce domaine, où il faut se rappeler que les lobbies de l'agrobusiness américain considèrent que les normes qui existent en Europe ne sont pas fondées scientifiquement – le principe de précaution aux États-Unis n'existe pas, aux États-Unis tout est acceptable tant qu'il n'y a pas de danger – chez nous, c'est vraiment l'inverse. [...] Aux États-Unis, il n'y a pas de risque tant que le risque n'est pas patent, avéré. Chez nous, on ne donne le feu vert que lorsqu'on a la preuve qu'il n'y a pas de danger. [...] Donc, quand on parle [...] de sécurité alimentaire, de normes sanitaires, le risque est très grand de voir contester par des firmes privées devant des groupes d'arbitrage privés les normes que nous avons élaborées péniblement et de manière encore insuffisante en matière de santé, dès lors qu'il s'agit d'OGM, de bœufs aux hormones, de poulets chlorés, de porcs traités à la Ractopamine, ce médicament qui empêche le développement des graisses, l'introduction de la chimie dans l'alimentation, de technologies qui présentent des risques en matière de santé. On va avoir un véritable risque que tout ce qu'on a essayé de construire péniblement, en dépit des lobbies qui agissent avec force pour faire passer le profit avant la santé, tout ça risque d'être balayé comme par un tsunami par ces dispositions prévues dans le cadre de la négociation du grand marché transatlantique.
[Agenda]
- 47'49". Le feu vert a été donné le 14 juin 2013, la négociation a commencé à Washington le 8 juillet 2013, la négociation se déroule par des cycles de réunion qui se tiennent une fois à Bruxelles, une fois à Washington, on en a eu trois jusqu'à présent. [...] Leur espérance, c'est d'aboutir en 2015, d'avoir un accord. [...] Quand États-Unis et Commission européenne considéreront qu'ils ont abouti à un accord, la Commission européenne va devoir revenir devant le Conseil des ministres. Là, il y a un premier moment de responsabilité pour les gouvernements. Ce qui ne veut pas dire que les gouvernements entre temps ne soient pas au courant. [...] Les gouvernements suivent au jour le jour les négociations, ils peuvent donner des impulsions, ou dire aussi qu'ils refusent telle ou telle avancée. [...] Mais le grand moment où ils doivent se prononcer, c'est quand ils diront à la Commission européenne "ce que vous avez négocié nous convient ou ne nous convient pas", [...] quelque part en 2015 [...]. Si les gouvernements disent "c'est bien", alors la Commission peut signer.
[Un mandat écrit par les lobbies du monde des affaires et de la finance]
- 50'20" : Les lobbies sont présents à tous les instants, ils ont été présents même avant l'accord du 14 juin, car c'est la Commission qui a proposé le texte du mandat, et pour ce faire, elle a reconnu qu'elle avait tenu près de 120 réunions avec des représentants du monde des affaires et de la finance, en 14 mois. La Commission européenne de février 2012 à avril 2013 a tenu près de 120 réunions rien qu'avec les lobbies du monde de la finance et des affaires. On a d'ailleurs estimé que 65% du mandat a été écrit directement par les lobbies. D'ailleurs la Commission ne s'en cache pas, elle reconnait qu'elle a tenu ces réunions et elle reconnait qu'elle demande aux représentants du monde des affaires et de la finance des suggestions. Le texte est fait des suggestions faites par les premiers intéressés, ceux qui trouvent qu'il y a toujours trop de normes sociales, qu'il y a toujours trop de normes environnementales, qu'il y a toujours trop de réglementations techniques, ceux qui voudraient pouvoir faire du profit sans avoir à tenir compte de l'intérêt général. Ce sont ceux-là qui sont les auteurs de ce texte.